Mon dernier interview sur le livre

Publié le par Sylvie

Interview par Frédéric BRILLET, de Sylvie de FREMICOURT à propos de son dernier ouvrage, (Extra-muros – janvier 2018)

 

  • Dans votre ouvrage « Vers un nouvel exercice du pouvoir » (EMS), vous parlez de pouvoir déplacé, de changement de forme, mais qu'est-ce qui vous a amené à écrire ce livre ?

Dans cette agitation qui trouble nos regards sur ce qui passe et se passe, j’ai eu envie de saisir le temps de l’écriture pour témoigner des courants qui traversent nos organisations, et nos façons d’y exercer le pouvoir. Ce partage d’expériences et ces « photos » prises sur le vif cherchent à engager le lecteur en liberté et responsabilité dans la voie qu’il décide de prendre, ou de faire prendre. Mais savoir se situer dans sa propre dynamique et se donner les moyens d’agir requiert de s’appuyer sur des méthodes de prise de conscience que j’évoque dans cet ouvrage.

  • Alors, selon vous, comment évolue l'exercice du pouvoir en entreprise?

Vaste question… Tout d’abord une remarque: l’exercice de ce pouvoir se trouve naturellement impacté par  une vague de nouveaux paradigmes transformants qui nous font évoluer vers une société post-moderne. Tous ces flux nous amènent à nous réinterroger sur la vocation du travail, de l’entreprise, de notre place dans la société et des relations de pouvoir nécessaires. La disruption digitale a encore renforcé les exigences de rapidité et de productivité, mais ce n’est pas une raison pour ne pas décider nous-mêmes d’où nous voulons aller, comment et pourquoi.

Et si le pouvoir n’a pas forcément changé de mains, il change profondément de forme. Et à terme, c’est par ce changement de forme, qu’il finira par changer de mains. Au sommet de la pyramide, les dirigeants d’entreprises fonctionnent encore en mode vertical mais sous le plafond de verre, la situation évolue: les managers, les cadres intermédiaires  fonctionnent de plus en plus en mode projet ou matriciel. Les dirigeants favorisent ce travail en mode circulaire ou horizontal, car il apporte  de la proactivité, de la réactivité, mais ils n’hésitent pas à reprendre la main en cas de problème ou de virement stratégique. Quand la verticalité du pouvoir impose l’arrêt ou la réorientation d’un projet géré jusque là de manière autonome et horizontale par les strates intermédiaires, ce sont alors souvent des injonctions paradoxales qui émergent : « on me suggère de faire comme je l’entends, puis on m’intime l’ordre de m’en tenir aux ordres, où est le sens et quel est mon rôle ?... » 

Autre élément de changement : hier on fabriquait ce que l’on connaissait et on pouvait toucher les personnes avec lesquelles on interagissait. Aujourd’hui, avec internet et la financiarisation, le bien comme le lien se sont dématérialisés et dépersonnalisés. C’est pourquoi il est important de savoir revenir à qui l’on est, décider de ce que l’on choisit de devenir. Car, on se façonne soi-même par ce que l’on fait et par la manière dont on le relie. En cela, le travail est un processus identitaire fondamental.

  • On parle aussi beaucoup des robots. Que va demain changer l’Intelligence Artificielle (IA)  à l’exercice du pouvoir?

Elle fera poindre de nouveaux défis. Demain, non seulement des humains piloteront des systèmes d’IA, mais ces derniers manageront aussi des hommes. Cela se fait déjà dans certains projets industriels complexes où des logiciels distribuent les tâches en fonction des compétences et disponibilités des humains, recommandent et contrôlent les délais et normes de qualité.  Les intelligences humaines et artificielles seront amenées à se coordonner et cette cohabitation génèrera sans nul doute de nouvelles injonctions paradoxales. Entre les robots dotés d’un sens rationnel et des humains qui intègrent le facteur émotionnel et politique dans leurs interactions et prises de décisions, il y aura forcément des frictions. 

  • Et qu'est-ce que les nouvelles générations vont aussi changer à l'exercice du pouvoir?

Elles cherchent aujourd’hui de nouvelles voies et, contrairement aux précédentes, ne font pas allégeance à la hiérarchie ou à l’entreprise en tant que telle. Ce sont les projets, les possibilités d’exercer un  métier intéressant qui forgent leur fierté d’appartenance et leur motivation. Les nouvelles générations ont besoin que le management les inspire, donne du sens, les nourrisse, et pour cela qu’il soit cohérent, partage sur des projets où chacun apprend. Ils veulent du pragmatisme, avec l’utilisation de nouveaux moyens pour travailler à distance, plus d’autonomie et moins de présentéisme. Ils souhaitent pouvoir accéder régulièrement à des formations professionnalisantes pour développer leur employabilité.

  • J’aimerais aborder avec vous l'exigence de Responsabilité Sociale, que change-t-elle à l'exercice du pouvoir?

Aujourd’hui, la responsabilité sociale vis-à-vis des collaborateurs passe beaucoup par le préventif et par le souci croissant qu’affichent les organisations de la qualité de vie au travail (QVT), le « bonheur » étant un mot excessif. Des bureaux et un cadre de travail agréables, voire ludiques, participent d'un bon exercice du pouvoir car ils témoignent de la prise en compte des besoins des collaborateurs dans cet espace de vie, et cela, en retour, leur donne envie de s’impliquer plus ou mieux. D’où l’importance des aménagements qui favorisent la communication, cassent les barrières hiérarchiques : canapés, bulles confort, baby foots, bombecs….

  • Le 2ème chapitre est entièrement consacré au « savoir se ressourcer », pourquoi  recommandez-vous aux managers de savoir aussi s’arrêter?

Prendre le temps de s'arrêter permet de voir plus large ou plus haut, de s’aérer, ou de faire un pas de côté, et amène à se poser les bonnes questions plutôt que foncer sur des solutions toutes faites. C’est un temps qui peut être très bref, mais indispensable à l’agilité attendue. C’est ce qui permet de différencier un problème d’une préoccupation, de clarifier la place qu’on y occupe et de solutionner plus en justesse ce qui relève du dehors ou de soi-même. Malheureusement notre époque, en se focalisant sur la vitesse, génère trop souvent des amalgames, projections, réactions qui, au final, font régresser. Ralentir est ainsi nécessaire pour discerner, puis, relier (dedans-dehors), et réassocier en conscience et liberté. C’est un processus qui favorise  la fluidité, l’innovation et le « faire autrement ». Et ce sont ces comportements individuels et collectifs qui contribueront à la performance des nouvelles organisations mouvantes et enclencheront des cercles vertueux de progrès.  

  • Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les compétences que doivent acquérir les managers  pour diriger et manager demain?

Le nouveau pouvoir consiste à savoir faire bouger l’autre, d’où il est et avec ce qu’il a, vers ce que l’on veut. Pour y parvenir, il faut savoir le prendre en compte, l’attirer, le stimuler et lui permettre de s’enrichir par sa propre contribution au système. Une roue de progrès en nourrit une autre. Cela requiert de la confiance, de la bienveillance et du respect, tout en restant en permanence rivé sur  le projet ou l’enjeu. Dans mon livre, je parle des spécifications du nouvel agir et développe ces aspects.

  • En conclusion, comment s'exercera demain le pouvoir dans les organisations?

Il s’agira de s’adapter et de se préserver sans cesse pour progresser. Il faudra entreprendre et entretenir un profond travail sur soi pour parvenir à cette agilité. Demain  nombre d’entreprises se transformeront en  gigantesques plateformes autour desquelles graviteront des hommes et des compétences, regroupés au gré des projets spécifiques, ouverts ou mutualisés. Le nombre d’actifs dotés  d’un statut d’indépendants va exploser et les rôles de client-fournisseur, patron-collaborateur seront interchangeables en fonction des nécessités… ou des hasards !    

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